Lorsqu’elle a
quitté l’Egypte en 1951, notre famille a eu cette chance de
pouvoir emporter les souvenirs d’un chapitre qu’elle s’apprêtait à
clore. Ces souvenirs on fait notre plus grand bonheur, à nous, les
enfants nés en France. En effet, chaque objet venu de là bas,
chaque photographie, chaque document portant l’impénétrable et si
élégante calligraphie arabe nous paraissait chargé de la magie du
pays des pharaons. Le charme de l’orient opérait quand nous
passions nos après midi du jeudi à explorer les trésors que
recelaient de grandes malles entreposées dans la cave de la
maison.
Il y a quelques
années, je suis tombé sur une coupure de presse soigneusement pliée
dans un porte-document. Sa lecture fit naître en moi une curiosité
quasi obsessionnelle. Jugez-en vous-même :
Voici le récit extraordinaire
d’un grand artiste d’Egypte.
La famille Stoloff est
originaire d’Ukraine. Les parents de Victor s’y sont mariés en 1905, année où
les Juifs subirent les pogroms orchestrés par le Petlivra de sinistre mémoire.
Monsieur Stoloff, artiste déjà reconnu, quitta l’Ukraine pour Tachkent en 1913,
appelé pour travailler au service d’un boyard d’ Ouzbékistan. C’est là que
naquit Victor, le 17 mars de la même année. La petite famille revint très vite à
Iekaterinoslav puis quitta définitivement la Russie pour la Palestine. Mais dès
le début de la guerre, en 1914, les Trucs expulsèrent vers Alexandrie quelques
deux cents Juifs russes de Tel Aviv qui furent d’abord incarcérés à Gabbari. Les
Stoloff y demeurèrent jusqu’en 1920, séjournèrent deux ans à Tel-Aviv, revinrent
à Alexandrie, puis vécurent trois année à Paris, pour revenir en Egypte.
Avant de vivre sa passion pour le cinéma, le jeune Victor Stoloff étudia le
droit puis, à l’âge de 20 ans, en 1934, il présenta le premier système
d’enregistrement sonore construit en Egypte. Il débutait ainsi sa vie
professionnelle en qualité de fondateur, de cameraman, et d’éditeur de la
première société d’actualités en langue arabe, « ORIENT ACTUALITES »
 |
«
DESERT BOY » -1937 (Siwa, Fata al sahra ou « gosse du désert » )
Ce film fait aujourd’hui partie des collections du
Musem of modern art) de New York. Il présente un tableau de scènes
de la vie quotidienne à Siwa, oasis qui situe dans le désert
égyptien occidental, non loin de la Libye. « Desert boy » est à la
fois un documentaire et une fiction, un regard sur le passé et une
histoire du présent dont les habitants sont les acteurs jouant
leur propre rôle.
|
C’est
le premier film jamais tourné à Siwa et c’est aussi le premier
documentaire-fiction égyptien.
En effet, d’un côté,
le film décrit l’oasis, la caméra nous offre un panoramique sur les
étendues de sable, elle se hasarde autour des tombeaux, d’ossements
millénaires, et puis vient l’eau qui ruisselle et assure la vie. On
nous rapporte les mythes et légendes que se racontent les habitants
dans leurs activités quotidiennes, leurs superstitions, leurs chants
et leurs festivités. C’est également un documentaire sur l’économie
locale basée sur la production de dates. La présence d’un portrait du
roi Farouk accroché sur un mur nous renseigne sur l’époque du
tournage.
 |
Pendant le
tournage de Desert boy. |
Mais
d’un autre
côté, le film raconte l’histoire d’une dispute entre deux clans qui
est finalement apaisée par la sentence prononcée par Al Qadi, le juge
plein de sagesse. L’accord est finalement scellé par une fête de la
paix.
Repéré par le
ministère britannique de l’information, grâce aux critiques
élogieuses, Victor Stoloff fut appelé à écrire pour Lord Kenneth
Clark, Black Ivory, un drame ayant pour sujet la libération de
l’Afrique Centrale d’un tristement célèbre négrier par le général
Gordon.
Victor Stoloff
émigra aux Etats-Unis avant la guerre et il y réalisa d’emblée deux
documentaires, grâce au soutien de Nelson A. Rockefeller,
coordinateur de la Inter-American Affairs.

|
En 1942, il se
rendit dans l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon pour y tourner
une reconstitution de l’affranchissement du territoire de la
férule de Vichy. Ce fut une gageure pour Victor Stoloff d’y
transporter ses équipes et son matériel, tant les abords de
l’archipel étaient saturés de mines flottantes. Little Isles of
Freedom, (Les petites îles de la liberté) fut nominé pour un Oscar
en 1943. Ses collaborateurs furent Dorothy Thompson pour le
commentaire et Charles Boyer comme narrateur. De nouveau, les
acteurs du film furent les habitants, jouant leur propre rôle.
Saint-Pierre et Miquelon sous Vichy sont dépeintes sous un jour
sinistre. Des jeunes gens parviennent à rejoindre le Général de
Gaulle mais représailles et persécutions s’abattent sur les
familles des « déserteurs ». |
La police locale,
est contrainte de servir le gouvernement de l’Etat français. Les lois
racistes et liberticides du régime de Vichy sont placardées tandis
qu’en cachette, on écoute Radio Londres. On y apprend les exactions
qui se déroulent dans la métropole occupée. Les enfants des écoles de
l'île ne restent pas insensibles aux actions politiques de leur
maîtresse, résistante de la première heure. Et voilà que surgissent,
dans le port de Saint-Pierre, les bâtiments de guerre de l'Amiral
Muselier qui débarque à Saint-Pierre. Les points stratégiques sont
pris: Résidence du Gouverneur,
Gouverneur, Gendarmerie, la station TSF. Le régime de
Vichy est renversé, et un référendum est organisé. L'annonce du
scrutin est faite par Alain Savary, le ralliement à la France Libre
est unanime. Devant la Mairie de Saint-Pierre la foule entonne la
Marseillaise. Le film fait aujourd’hui partie des collections du
M.O.M.A. de New York.
A partir de 1952, Victor Stoloff eut de très nombreuses participations
à des séries pour la télévision en tant que producteur, metteur en
scène ou auteur. On citera « The Ford Theatre », où la célèbre série «
Hawaï Police d’Etat ».
Dans le domaine cinématographique, Victor Stoloff a collaboré avec
William Dieterle, Sydney Buchman, et David O. Szelnick. Il a participé
à la production de « YOUNG WIDOW » avec Jane Russel, et de « CARMEN »
avec Rita Hayworth, « THIS IS DYNAMITE » et « BOOTS MALONE » avec
William Holden chez Columbia.
Victor Stoloff a produit et mis en scène le premier film américain
entièrement réalisé en Italie, « MIRELLA » avec Douglas Montgomery et
Sarah Churchill, ainsi que le premier film américain entièrement
tourné en Egypte, « EGYPT BY THREE » (1953).
C’est une trilogie qui a le Nil pour cadre, Joseph Cotten en est le
narrateur. La première histoire raconte l’idylle tumultueuse et non
sans danger entre un artiste de cirque lanceur de couteaux et sa
maîtresse. Lorsque la femme du lanceur de couteaux, apprend la liaison
de son mari, elle lui impose un ultimatum qui suppose la mort de sa
rivale. La seconde histoire voit une caravane en route pour la Mecque
touchée par le choléra. On attend du chef qu’il assume la situation et
qu’il prenne les bonnes décisions. Dans la dernière histoire, deux
artistes américains arnaqueurs tentent de revendre des hosties. En
réalité, l’un d’entre eux a l’intention d’utiliser le pain sacré pour
faire sortir du pays des diamants en contrebande.
Victor Stoloff a produit le film « THE LONE JOURNEY » dont il a écrit
le scénario, et assuré la mise en scène. Le film a été tourné dans
divers endroit autour du monde avec Peter Townsend et distribué par
Pathé.
 |
Victor Stoloff a écrit le scénario
de « VOLCANO » pour Anna Magnani. Avec Robert Hill, il a co-écrit
« SHARK REEF” pour Roger Corman.
En 1963, il a écrit et produit “OF LOVE AND DESIRE", distributé
par la 20th Century-Fox, et en 1966, "INTIMACY" pour la Warner.
Pour ABC Pictures, Victor Stoloff a écrit, produit et réalisé en
1971 "THE THREE-HUNDRED YEAR WEEKEND".
Il s’agit d’un drame prenant et plein d’émotion : une dizaine de
personnes se trouvent engagées pour une intense session de trois
jours de thérapie de groupe. L’histoire est basée sur des faits
réels. |
 |
Victor Stoloff fut lié pour deux ans avec la Stafford
Productions, durant lesquels il écrivit l’histoire originale du film "
ECHAPPE DE SOBIBOR," et monta la production du film à gros budget de
Moshé Mizrahi, "CHILDREN AT WAR," dont le scénario est de Abby Mann.
Il écrivit et réalisa "ISRAEL IS REAL", à propos de la guerre des six
jours de 1967 pour la ZDF-TV (Allemagne). De sa collaboration avec
Aram Khatchatourian, Stoloff produisit un film dans l’ancienne Union
Soviétique autour du compositeur du ballet "GAYANE," et de la fameuse
"Danse du Sabre", utilisant pas moins de six caméras Panavision.
 |
Il produisit et réalisa en 1977,
"THE WASHINGTON AFFAIR," lançant ainsi Tom Selleck. Le film fut
acheté pour la télévision par Viacom. Il s’agit d’un homme
d’affaire impitoyable et sans scrupules (Barry Sullivan), qui
recourt au chantage pour tenter de corrompre un agent du
gouvernement (Tom Selleck - sorte de galop d’essai annonciateur de
la série Magnum).
Parmi les séries télévises créées par Stoloff, on peut citer,
“PSYCHODRAME” et “ CHEVROLET THEATRE” (avec Michael Moriarty),
diffusées aux heures de grande audience aux USA.
En 1974, Victor Stoloff avait tourné en Iran des scènes d’une
série pour la télévision, "THE WOMAN OF IRAN". Stoloff eut ainsi
l’occasion de rencontrer le célèbre Docteur Habib Lévi, et il
s’arrangea alors pour filmer toute sa famille. Après la révolution
iranienne, la famille Lévi dût s’établir aux Etats-Unis et Victor
Stoloff reprit son tournage en 1985. Il filma également la très
impressionnante cérémonie de funérailles du Docteur Lévi, à
laquelle assista plus de cinq mille personnes |
La renommée du Docteur Lévi vient de
l’ouvrage qu’il a écrit sur les dix tribus perdues d’Israël. Loin
d’avoir disparu, elles se dirigèrent, selon lui, vers l’Iran d’où,
ultérieurement elle essaima pour constituer la diaspora. De nos
jours, à l’Université de Californie Los Angeles, il existe une
chaire créée par les Lévi, qui poursuit les recherches à ce sujet.
En juillet 2000, Victor Stoloff a achevé le film de la famille
Lévi, avec les enfants et petits enfants du défunt Docteur. Victor
Stoloff a présenté son film comme un cadeau à la famille.
Venant de fêter son 93ème anniversaire, Victor Stoloff est un
jeune homme toujours actif, qui continue de créer… comme il
respire.
Didier
Frenkel – 03/2006 |
 |
|