Le film « L’immeuble Yacoubian » est projeté à Paris depuis deux ou
trois semaines et je suis allé le voir dès le premier jour. Il est en
version originale (arabe égyptien), heureusement avec des sous-titres
en français, car mes souvenirs de l’arabe sont trop parcellaires et ne
m’auraient pas permis de bien suivre le dialogue.
Pour ceux d’entre vous qui n’auraient pas encore entendu parler du
roman et du film, c’est l’histoire (considérée comme très « moderne »
et « osée » pour un roman en langue arabe) des habitants de l’immeuble
en question, aussi bien dans les appartements « bourgeois » que des
chambres de bonne sur la terrasse dudit immeuble. (Durant ma jeunesse,
ces terrasses étaient utilisées par les « laveuses » (lavandières) qui
venaient laver le linge des familles habitant l’immeuble à grand
renfort d’eau chauffée sur des réchauds à pétrole et l’étendre sur ces
terrasses où il séchait au soleil en l’espace d’une ou deux heures…)
L’immeuble aurait été construit en 1927 par un riche arménien du Caire
et son histoire est retracée brièvement, en avant propos, et dans un
style enlevé, au début du film. Une brève séquence fait même allusion,
de manière caricaturale, à l’exode des familles juives pendant les
années 50.
L’immeuble est un des ces immeubles inspirés des immeubles
haussmanniens, que l’on trouvait dans le quartier de Kasr El Nil, et y
habitent, entre autres locataires, le fils (vieillissant et coureur de
jupons invétéré), d’un pacha plusieurs fois ministre avant la
révolution nassérienne et qui a transformé ses bureaux situés dans un
autre immeuble en lieu de rendez vous discrets pour les serveuses et
autres femmes qu’il « lève » dans les cafés et bars de la ville. Ce
qui lui vaudra des mésaventures et de se brouiller avec sa sœur qu’il
héberge dans son appartement et donne lieu à des scènes de cris et de
violences verbales tout à fait réalistes. Il y a le rédacteur en chef
homosexuel d’un journal francophone du Caire, qui connaîtra une fin
tragique (il faut que la morale soit sauve) après avoir copulé avec un
brave soldat « Saïdi » qui sera quant à lui, puni par le destin pour
avoir transgressé la morale bien pensante en vigueur. Il y a également
un homme d’affaires prospère, qui a commencé comme cireur de
chaussures et qui possède des dizaines de magasins, qui se fait élire
au parlement (en achetant son élection au prix fort) et dont on
découvrira l’origine de la fortune vers la fin du film. Du côté des
habitants des chambres de la terrasse, il y a le « baouab » (portier)
et son fils, travailleur et ambitieux qui se sentira exclu par ses
condisciples de l’université du fait de ses origines modestes et qui
se tournera vers la religion et deviendra un terroriste islamiste, qui
abandonnera son amour de jeunesse pour s’abandonner à la religion et à
la femme qui lui est désignée par son maître à penser avant de
connaître une fin tragique. Il y a enfin la jeune fille pure et
romantique qui se fera « tripoter » par son patron dans l’arrière
salle d’un magasin, contre son gré mais pour garder son emploi, mais
qui finira par trouver l’amour avec le vieux beau des étages «
bourgeois » qui rejettera la vie dissolue pour épouser cette jeune
femme pure et idéaliste.
Tous ces destins se croisent, se rencontrent parfois, s’ignorent aussi
et cela fait plusieurs histoires qui sont contées tout au long du
film.
Le film est long, très long (2h 45min) et l’on s’impatiente parfois
des longueurs et de la technique cinématographique du réalisateur.
On y revoit furtivement Groppi, le rond point Soliman Pacha et les
rues du Caire encombrées et grouillantes, les cris, les cafés où l’on
semble consommer de l’alcool et des bouteilles de bière Stella (marque
qui a survécu aux années qui ont passé).
Au fond, la morale que l’on peut tirer de ce film, elle se trouve dans
la séquence finale et le dernier travelling. Le vieux beau et sa jeune
épouse quittent la réception donnée chez Groppi à l’occasion de leur
mariage, et dans l’aube de la ville qui s’éveille marchent vers
l’avenir. On dirait que le message de l’auteur est de nous dire que la
révolution nassérienne et toute cette période des 50 dernières années
étaient comme un mauvais rêve, peuplé de politiciens corrompus,
d’hédonistes veules et d’hommes d’affaires véreux et que l’Egypte
moderne veut renouer avec l’Egypte d’antan, celle « d’avant », du
temps des Pachas, de la vie digne et pure que l’auteur imagine…
.
Pour le dépaysement et les souvenirs qu’il évoque pour ceux qui ont
connu l’Egypte d’antan, je donnerais un 8/10. Pour les qualités
cinématographiques du film et le jeu des acteurs, je suis plus
réservé, et ma note est de 6/10.
D. Harari
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